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LA NUIT DE NOËL
DE
1914.
NIHIL OBSTAT
Parisiis, die 2Ôa Sept. igi5 FR.UBALDUS. O. F. M. CAF.
IMPRIMATUR
Parisiis, die 2~a Sept. igi5 E. ADAM, V. G.
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PAUL CLAUDEL
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LA NUIT DE NOËL
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A L'ART CATHOLIQUE
6, Place Saint-Sulpice, 6
PARIS
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University of Ottawa
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http://www.archive.org/details/lanuitdenolde100clau
LA NUIT DE NOËL
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i 9 i 4.
SCENE I.
En arrière de Rheims, un village de la Champagne brûlé par les Allemands. Au fond une espèce d'étable ou de remise. Au milieu de la place, un puits. A droite, l'église sans toiture et à demi effondrée. Sur un mur, on voit affichée une procla- mation allemande. En avant, deux tombes et, dessus, deux croix de bois coiffées de képis.
C'est une belle nuit d'hiver un peu brumeuse. La lune brille. Le village est au milieu du bois.
UN GROUPE DE SOLDATS FRANÇAIS, LE SERGENT, LE GÉNÉRAL.
Le Général Sergent, quelles sont ces tombes?
Le Sergent Mon général, celles de nos camarades, Jean
et Jacques, que nous avons perdus cet après- midi. Jean est tombé blessé en reconnaissance, il était là entre les tranchées. Jacques est allé le prendre sous les balles, et comme il le rap- portait sur son dos, il est tombé à son tour. Tous deux sont morts en même temps, tués de la même balle. Nous n'avons pu avoir leurs corps qu'à la nuit et nous venons de les enter- rer. C'étaient des jeunes gens de vingt ans. Jean était séminariste et Jacques était institu- teur laïc.
Le Général, faisant distraitement le salut militaire.
Honneur aux braves ! — Les Allemands ne tirent plus?
Le Sergent
Voilà une heure qu'ils ont cessé. C'est la nuit de Noël. On pense qu'ils recommenceront à minuit. C'est leur genre de plaisanteries.
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Le Général, montrant la remise. Une baraque épargnée?
Le Sergent C'est là que nous rangeons l'âne du canti- nier. Et ce soir le boucher y a mis le bœuf que nous mettrons demain dans la marmite.
Le Général, se penchant sur le puits. Un beau puits et qui a l'air profond. J'es- père que l'eau est saine ?
Le Sergent Il nous rend bien service.
Le Général Et qu'est-ce que vous étiez dans le civil, ser- gent? Vous avez une bien belle barbe.
Le Sergent Évêque, mon général. Évêque en Malaisie.
Le Général Montrez-moi vos tranchées. (Ils sortent).
SCÈNE IL
Le rideau se relève et montre exactement la même scène, les murs effondrés, les âtres avec la longue cheminée qui seuls subsistent de toute la maison, la remise, l'église en ruines, le puits; la proclamation allemande est toujours là. Mais les deux tombes ont disparu.
Entrent par les côtés opposés JEAN et JACQUES. Ils sont devenus pareils à des enfants de quatorze ans et vêtus de longues robes blanches.
Jean Bonjour, Jacques !
Jacques Bonjour, Jean! (Ils s'embrassent tendrement à la manière des prêtres en se mettant les deux mains sur les épaules).
Jean Jacques, tu as donné ta vie pour moi.
Jacques Jean, tu m'as donné ton âme et la foi en Jésus-Christ.
Tout cela ensemble coulait sur moi, pendant
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que je te portais sur mon dos, comme l'eau du baptême.
Le même coup de feu délivra nos âmes étroi- tement embrassées.
Jean Réunis pour l'éternité !
Jacques
En Dieu ! Que ce mot me paraît encore étrange et nouveau, et quel profond tressaille- ment en moi d'étonnement et de désir !
Une seule seconde a fait de moi un chrétien et un bienheureux.
Jean
Une seule seconde parfaite de foi, d'espé- rance, d'amour et d'acceptation, pendant que tu me portais sur ton dos.
Jacques Mon frère !
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Jean Oui, mon Jacques, ton frère, et non point ton ennemi.
Jacques, regardant autour de lui.
Eh quoi ! la mort est venue et rien autour de nous n'a changé.
Jean
Ce n'est pas le ciel encore! Vois! A peine si la rougeur du couchant est obscurcie !
Noël ne fait que de commencer. Quelques heures encore avant que naisse Jésus-Christ.
Jacques Voici la remise- où le cantinier rangeait son âne. Voici la cave où l'escouade se reposait. Voici le puits où nous allions à la corvée d'eau.
Jean Voici l'église.
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Jacques Voici toutes les pauvres maisons détruites par les Allemands.
Jean Rien de ce qui arrive sur terre n'est perdu pour le ciel. Tout y trouve son sens. Tout y est devenu explicable, la même chose mainte- nant intelligible.
Jacques
Tout est pareil.
Voici même sur le mur encore la proclama- tion que le général allemand y fit afficher, avant que le pauvre village fût détruit et ses habitants massacrés.
Jean Lis la, Jacques.
Jacques Avis. — Une ligne téléphonique ayant été détruite près du village de Saint-Rémy-aux-
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Bois, le village de Saint-Rémy-aux-Bois est condamné à payer dans les vingt-quatre heures une amende de 20.000 francs. Si le payement n'est pas effectué à terme utile...
(Il n'y avait pas 20.000 francs dans tout le pays),
... Si le payement n'est pas effectué à terme utile, le village de Saint-Rémy-aux-Bois sera incendié et détruit sans égards pour personne : les innocents souffriront avec les coupables-. (Signé) : Von Bulow.
Jean Cela aussi est écrit dans le ciel pour tou- jours.
Jacques Et ces arbres aussi sont restés les mêmes. Qu'ils me paraissent sacrés dans cette nuit solennelle ! Le chandelier d'or de Salomon avec toutes ses branches allumées n'avait pas plus de mystère.
Jean
Dieu a créé toutes choses excellentes et admirables. Il chérit tout ce qu'il a fait et désire qu'elles ne cessent jamais d'exister.
Ah ! la chose la plus humble, si nous avions eu le cœur assez pur,
Quel sens elle cache en elle et comme elle parle de son Créateur !
Jacques Maintenant je suis pur, Jean, et sans aucun péché. C'est ton sang qui m'a fait cette robe si blanche.
Jean
Tu m'as donné ta vie, c'est une idée que tu as eue tout à coup ! Et moi je t'ai donné ce que j'ai pu.
Jacques
Dieu nous a épargné une longue attente, et nous prend dans notre vingtième année.
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Jean Ensemble pour toujours.
Jacques Mais ce n'est pas vingt ans que tu semblés avoir, mon Jean, et l'on dirait que tu en as à peine douze.
Jean Toi-même, Jacques, où est cette fîère mous- tache dont tu étais si vain ?
Jacques Où est cette rude barbe noire?
Jean Dieu a fait de nous des enfants de nouveau, comme au jour de notre première communion. Car il est écrit que nous n'entrerons pas dans le Royaume du Ciel, si nous ne devenons semblables à des petits enfants.
Jacques Tu te rappelles nos discussions dans la tran-
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chée ? Ah ! que tu m'agaçais avec ton air tran- quille! Et que toutes choses à présent me semblent simples et naturelles !
Jean
Mais quelles sont ces petites lumières blan- ches que Ton voit de toutes parts apparaître et la forêt en est remplie,
Comme au mois de mars, les fleurs qu'on appelle Reines-des-bois et le triste sol en est tout étoile. (Ici le chœur chante tout bas le répons de l'office des Innocents : « Anima nos- tra sicut passer erepta est ».)
Jacques
Ce sont les âmes des enfants morts, pa- reilles à des gouttes de lait.
Jean
Morts, Jacques, dis-tu? Eh quoi! et nous, est-ce que nous sommes morts? non point morts, mais vraiment vivants.
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Jacques Venez, chers petits frères !
Jean Venez, saintes âmes innocentes ! Venez, témoins de Jésus-Christ, venez, tendres agneaux que le cruel Hérode a immolés, non point pour aucun mal que vous lui ayez fait, mais par la seule haine de ce Dieu dont vous êtes l'image.
Jacques Quelle moisson pour le Paradis ! Quelle odeur délicieuse vient à nous comme celle des jacinthes et des narcisses et de toutes ces fleurs les premières qui sortent du sol hivernal ! ou les muguets et les gros coucous qui sentent le miel !
Jean
De toutes parts, des villes et des champs de France et de Belgique, innombrables comme nos armées, je les vois qui montent vers Dieu
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et toutes les routes du Ciel en sont remplies ! Il n'y a pas d'église populaire qui ait tant de blanches multitudes autour d'elle un jour de première communion.
Jacques
Il n'y a rien que le diable abomine aussi fort qu'un petit enfant.
Jean
Vous tous, les égorgés, les fusillés, les muti- lés, les perdus, les abandonnés, morts de froid, morts de misère, morts de ne pas manger,
Morts de peur et de désespoir,
Chers petits frères, venez ! nous ne vous ferons aucun mal.
Jacques Ils nous ont vus et n'osent s'approcher.
Jean Venez ! (Entre une foule d'enfants vêtus de longues robes blanches, les mains jointes ou
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les bras croisés. Ils viennent se masser sur le fond de la scène.)
Jacques Enfants, qui êtes vous et d'où venez-vous ?
Jean
Tais-toi, Jacques, et ne parle pas ainsi brus- quement comme si tu étais encore un caporal à la tête de son escouade.
Les pauvres petits enfants ont le cœur si sensible et il est si facile de les effaroucher! Et ceux-ci viennent de souffrir tellement sans savoir pourquoi. Laissons-les s'apprivoiser peu à peu et faisons semblant de ne pas les voir.
Jacques Qu'ils sont touchants avec leurs mains join- tes et leurs yeux baissés comme de pauvres enfants qui ne savent rien de rien et font ce qu'on leur dit !
Jean Il y en a qui savent à peine marcher et dont
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les pieds s'embarrassent dans cette robe trop longue.
Jacques Un peu de temps encore et les pieds ne leur serviront plus de rien.
Jean Ils seront dans la gloire de Dieu avec nous!
Jacques En Dieu, Jean, en Dieu même! Où est Dieu, là nous serons avec lui ! Avec Dieu, et non pas ailleurs, dans la vive lumière de Dieu, comme un nageur dans une source, le nageur qu'une eau subtile et lumineuse enlève et soutient suivant le poids qu'il pèse !
Jean Tu sais ces choses! Quel docteur une balle de Mauser a fait de toi en une seconde ! (Une petite fille s'approche timidement de lui par derrière et lui met la main dans la main.)
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Jean Qui es-tu, chère enfant ? Bonjour, Doucette !
La petite fille Je suis la grande Marie.
Jean Guère grande tout de même.
La petite fille C'est moi qui ai conduit ici les petits de Lunéville.
Jean Quels petits ?
La petite fille Les tout petits qui sont morts parce que les Bavarois avaient réquisitionné tout le lait.
Jean Et toi, comment es-tu venue ?
La petite fille C'est un gros homme gris qui m'a tuée à
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coups de sabre, j'avais beau me cacher, ô Dieu que j'ai eu peur! et il a tué aussi notre chien qui me défendait. (Un autre enfant tout petit est venu se mettre tout près de Jacques.)
Jacques Et toi, mon homme, qui es-tu ?
Une autre petite fille Il ne sait pas bien parler encore.
Jacques Qui est-ce ?
La petite fille C'est un petit que sa maman a perdu quand on s'a sauvé de Nomény. Elle le tenait dans son tablier et il a tombé. Une roue de char- rette lui a passé sur le corps. (Un autre enfant.)
Jean Et toi, mon petit tondu ?
Le petit garçon Les Allemands m'ont fusillé parce que je les mettais en joue avec mon fusil de bois.
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La petite Marie Regarde ! En voilà d'autres qui veulent te parler.
Jean Qui sont-ils? Explique-moi.
La petite Marie Ce sont les petits Belges qu'on a brûlés dans une grange.
Jacques Et tout ce paquet là-bas qui ne dit rien et qui baisse la tête?
La petite Marie Ce sont des petits Anglais. Un obus est tombé au milieu de leur école et ils ont sauté tous à la fois avec la bonne sœur.
Jean Et ces cinq ou six autres là-bas qui se tien- nent par la main?
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La petite Marie Noyés dans un bateau de réfugiés que les Allemands ont coulé.
Jean Et ces autres ?
La petite Marie C'étaient les orphelins d'un hospice où l'on avait mis le drapeau de la Croix-Rouge.
Jacques Et ceux que voilà, si timides, et qui osent à peine se montrer?
La petite Marie Ah ! ne leur faites pas peur ! Ce sont ceux qui ont le plus souffert, quand les Autrichiens se sont sauvés ! Ils ne nous parlent pas, tant leur pauvre cœur est encore contracté.
Ce sont les petits Serbes qui viennent de bien loin.
Jacques Et tous ces jolis messieurs, dis-moi, qui ont un air si fier sous leurs cheveux bouclés ?
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La petite Marie, leur faisant signe.
Venez, on ne vous fera pas de mal. (Les petits approchent.)
Jean Qui êtes-vous?
La petite Marie Ce sont les Polonais qui sont de chez les Russes, et il y en a un qui a une belle image de la Vierge noire. (Entre une petite fille avec son violon.)
Jacques Et toi, ma jolie rose, qui es-tu?
La petite fille Je m'appelle Sylvie et je joue du violon.
Jacques Et comment es-tu venue ici ?
La petite fille Je ne sais pas. J'étais dans mon lit et je dor- mais, et tout à coup je me suis trouvée ici.
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Jean Que c'est gentil d'être tous ensemble des petits enfants ! Aimables frères, c'est fini main- tenant de cette terre où Ton souffre !
Jacques Et d'où vient que toute cette foule s'est assemblée avec nous, ce soir, en ce lieu même ?
Jean
N'est-il point l'image de celui où nous avons passé tant de nuits, ayant devant nous les deux tours de la cathédrale martyre, Notre-Dame de Rheims, Notre-Dame de France, assassinée par les Allemands en haine de la foi?
Ce n'est pas une sainte ou un évêque, c'est Notre-Dame elle-même, c'est la mère de Dieu fait homme pour nous, qui endure la violence et le feu !
C'est elle tout à coup que nous avons vu flamboyer au centre de nos lignes, comme jadis la vierge de Rouen, c'est elle qu'ils
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essayaient de massacrer, la vieille mère, pen- dant qu'elle nous faisait un rempart de son corps !
Au centre de nos lignes c'était elle contre les hordes du noir Luther qui était notre rempart et notre drapeau !
Dans cette bataille sur toute la longueur de la Marne que nous avons livrée, ayant Gene- viève à notre gauche et Jeanne à notre droite,
Dans cette bataille de six jours autour du jour de sa fête, quand se retournant tout à coup la ligne de nos sept armées parvint, avec quel effort, à rejeter le poids accablant, le manteau de plomb vivant sur nous avec un million de griffes des légions de la nuit !
Et maintenant elle est toujours là sur le front, notre mère, notre générale, incendiée, insultée, mutilée, vide, veuve, frappée, debout! Et les Boches en face d'elle n'ont pas gagné d'un seul pas et ils savent qu'ils n'iront pas plus loin.
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C"est d'elle-même, en effet, qu'il est dit qu'elle est terrible comme une armée rangée en bataille, terrible quand elle sourit, et que sera-ce quand elle brûle?
A sa droite, à sa gauche, à l'Est, à l'Ouest, et du Midi jusqu'au Nord, de la mer aux Vosges et de Dunkerque jusqu'à Belfort, au travers des Sept Rivières,
Elle voit s'attacher à elle comme à une colonne, comme à un pilotis, la triple et qua- druple chaîne sans aucune rupture ni défaut,
De qui formée, sinon de ces enfants mêmes qu'elle a donnés à Dieu et que jadis elle enve- loppa dans les langes baptismaux !
Maintenant, c'est l'hiver, c'est la longue sai- son de la souffrance et de la lutte et de l'espé- rance dans le froid et dans la gêne et dans la mort,
Quand toute la France est dans le silo, tout notre froment dans le sillon.
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Avant que cette semence armée ressuscite au soleil de Pâques !
Jacques Et d'où vient que tout ce peuple s'est assem- blé ici ?
Jean
N'est-il point convenable que là où la mère endure passion tous les enfants soient avec elle ?
Où est leur place en ce jour de Noël sinon près de cette mère qui les a tous enfantés au salut avec le Christ?
Où est mieux leur place en ce jour de la naissance de toute l'Eglise,
Sinon près de ces fonts jaillis de la plus pure veine de la terre. où jadis la Fille aînée de l'Eglise a reçu le baptême et tant d'autres peu- ples avec elle ?
Sinon près de cette source d'eau et de chrême où jadis Jeanne la Pucelle conduisit le Roi pour s'y faire sacrer? Rheims royale et baptis-
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maie que les ennemis de la Joie aujourd'hui essayent d'ensevelir sous le fer et Je feu.
Jacques Mais qu'attendent-ils tous ?
Jean
Que minuit sonne et que le ciel s'ouvre.
Or ça, voici M. le Curé du village qui vient vers nous pour nous recevoir, car nous sommes chez lui,
Et nous faire un beau sermon. (Entre le Curé de Saint-Rémy-aux-Bois.)
Jacques Bonjour, Monsieur le Curé !
M. le Curé
Bonjour, mes petits enfants ! Bienvenus tous à Saint-Rémy-au-ciel !
Vous voilà tous enfin! C'est pour vous que je suis resté seul ici si longtemps à vous atten- dre, car c'est moi qui suis chargé de vous
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accueillir en ce lieu, avant que L'heure vienne d'être introduits dans une autre demeure.
Jacques Voici combien de temps que les Prussiens vous ont fusillé ?
M. le Curé
Voilà cinq mois qu'ils sont entrés ici comme des gens à moitié fous. Il n'y avait rien à leur expliquer.
Moi et ma bonne, ils m'ont pris tout de suite et ils nous ont conduits au cimetière, à gauche de l'église. J'ai bien vu tout de suite ce qu'ils voulaient. Ils disaient que nous leur avions tiré des coups de fusil.
Jean
La bonne était une pauvre enfant aveugle et bec-de-lièvre qu'il avait recueillie par charité.
M. le C u r é Alors j'ai dit à Marie : « Marie, c'est le
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moment de réciter notre chapelet ». Elle n'a rien dit, elle a tiré son chapelet de la poche de son tablier et elle s'est mise à genoux à côté de moi, tenant ma soutane de l'autre main.
Jean Où est-elle? Je ne la vois pas.
M. le Cure Elle était trop pure et la terre n'a pu la con- tenir. Je ne l'ai vue qu'un moment, elle m'a souri, ah ! quel céleste sourire ! et elle a disparu.
Jean Et est-ce que vous avez souffert à ce moment, Monsieur le Curé ?
M. le Curé Et toi-même, Monsieur le séminariste?
Jean, souriant. Et toi, Jacques?
M. le Cure Dieu a miséricordieusement caché aux pau-
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vres hommes, afin qu'ils aient quelque mérite, le peu de douleur qu'il y a à quitter ce lieu de souffrance et de ténèbres.
Rien qu'une grande lumière fulgurante comme l'épée de l'ange exterminateur et voici la réalité enfin autour de nous !
Comme quand au sommet d'une montagne le brouillard tout à coup s'écarte et que Ton voit l'Alsace ou la Lombardie toute rose dans le soleil du matin.
C'en est fait de ce songe mauvais que nous appelions la vie.
Jean Ainsi donc, tout de même, la voilà, cette vie éternelle par laquelle au séminaire on nous apprenait à terminer tous nos sermons !
M. le Curé, se tournant vers les enfants.
Et maintenant, mes très chers frères, écou- tez-moi, car c'est moi qui suis chargé ce soir
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de vous faire l'instruction et de préparer vos intelligences à cette éternelle Noël qui va briller à minuit, comme jadis je prêchais aux enfants des catéchismes, — car pour vos cœurs, je sais que déjà ils sont tout purs et ouverts. (Tous les enfants se groupent au fond de la scène).
Mes très chers frères, je vous conjure tout d'abord de ne plus être tristes, et effrayés, et éperdus, comme il est naturel à un âge si ten- dre quand on se trouve tout à coup sans per- sonne, et vos chers parents sont restés dans un autre lieu, et je sais que vous venez d'avoir si peur ! Vous étiez entourés de tant de soins et de tant d'amour, et voilà tout à coup que la chose s'est produite et quelqu'un tout à coup qui vient pour vous faire du mal, alors que vous n'en faisiez aucun. Et, maintenant, c'est le ciel, il est vrai, vous le savez, et cependant votre mère n'est pas avec vous, et vous vous dites sans doute : « Est-ce qu'il y a place pour
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de si petits enfants dans une si. belle maison? » Mes chers frères, si petits, si simples, si inno- cents que vous soyez, si désarmés, vous ne Têtes pas encore autant que ce Dieu que vous allez voir tout à l'heure et qui n'accueille que ceux-là précisément qui sont semblables à vous et à lui : « Mais, pensez-vous, est-ce qu'il me connaît, moi, le tout petit, comme ma mère me connaît et comme je la connaissais ?» — Chers enfants, dit le bon Dieu, c'est votre mère qui vous a reçus, mais c'est moi qui vous ai faits. C'est elle qui vous a reçus de tout son cœur, c'est elle qui vous a nourris du meilleur de ce qu'elle a, mais c'est moi le premier qui ai eu toute l'idée, c'est moi qui vous ai faits exprès, comme un ouvrier qui pense longtemps à ce qu'il va faire et qui combine bien des choses par avance. Comme c'est joli pour lui ce petit être qui va paraître et personne autre n'en a l'explication ! Et si vous aimez votre maman, n'aimerez-vous pas bien aussi celui qui est
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votre auteur et votre inventeur et qui n'a pas cessé et ne cesse pas de penser à vous un seul moment ! Ah ! il y a un grand secret entre vous et lui, un petit mot bien doux que vous seuls, et non pas aucun autre, pouvez lui dire, et ce petit mot de votre bouche, dit le Seigneur, il m'a paru si cher, si indispensable, que je n'ai pas eu la patience d'attendre plus longtemps et que je vous ai fait chercher tout de suite où vous étiez, avant que la vie ne m'ait changé mes petits enfants.
Oui bien, mes très chers frères, il vous faut remercier le bon Dieu qui, en vous enlevant si jeunes, vous a traités comme ses préférés, et non seulement vous a soustraits ainsi à bien des maux, mais qui n'a pas permis que sa ressemblance fût jamais en vous, pas plus que chez les anges, endommagée. Mais vous n'êtes pas seulement bienheureux, vous êtes saints aussi. Si petits, vous avez la même couronne que tant de généreux athlètes, tant de mission-
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naires, tant de nos frères en Chine ou du temps des empereurs de Rome, n'ont conquise qu'au prix de beaucoup de labeur et de patience. L'être en état de grâce, comme il ne cesse pas d'être uni au Christ, s'il vient à subir le mar- tyre, comme il ne cesse pas d'être en état d'assentiment à son Créateur, participe à la même passion et en dilate sur tout ce qui l'en- toure la vertu d'expiation et de rachat. Ce n'est pas faussement que vos mères, quand elles vous serraient dans leurs bras, vous appe- laient leurs petits Jésus! Comme il a donné sa vie pour vous, vous lui avez donné la vôtre et à jamais dans le ciel vous ne cesserez plus de la lui donner.
Donner ne suffit pas, il faut demander aussi, sans cela à quoi servirait-il d'être des enfants qui attendent tout de leur père avec une foi sans borne, et n'entendent aucune raison ? N'ayant rien à demander pour vous, que de- manderez-vous, mes très chers frères, tout
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chauds encore du corps et de l'âme de vos parents ? La pitié pour eux tout de suite du Sei- gneur, pour tous ces pauvres gens qui traînent encore là-bas, et qu'il entende leurs noms que tous ces anges nouveaux-nés exhalent comme une rose fraîche qui s'ouvre avec une odeur irrésistible !
La pitié tout de suite, et le pardon tout de suite aussi, la pitié pour ces auteurs de votre vie — et le pardon en même temps pour tous ces malheureux qui, en vous tuant, sont les auteurs de votre béatitude, pour qu'au parfum nouveau de ce petit globe d'amour qui chante à Dieu ne se mêle pas l'idée insupportable de l'injure qui lui a été faite ! Prions donc pour nos bourreaux. Mais, Seigneur, vous savez qu'il n'est pas facile de prier pour un Allemand. Ce sont des gens si parfaitement honnêtes, et vertueux, et sûrs de bien faire, même quand ils assassinent des enfants. Que demander pour ces êtres justes et rayonnants, investis dès leur
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naissance du don de ne jamais mal faire, et qui n'oublient pas de reporter pieusement à Bieu le mérite de ce privilège singulier? Quand ils nous tuaient, mes très chers frères, c'est nous qui étions coupables de la nécessité qui obli- geait ces bonnes gens à des actes immodérés. Quel trait demander à la grâce qui vaille contre l'armure d'une confiance aussi solide, ou d'une bêtise aussi épaisse ? Qu'oserons- nous demander à Dieu pour ces peuples reli- gieux qui savent mieux que lui où ils en sont et qui n'ont besoin de personne ? Et quelle est la chance de nos amis qui osent porter les armes contre de pareils gaillards ? Leurs sou- verains ne sont-ils pas de pieuses gens ? Il y en a un qui n'est pas capable de dire trois mots sans que le quatrième soit cette syllabe redou- table que nous-mêmes osons à peine pronon- cer. Il y en a un autre qui s'est fait photogra- phier à genoux sur son prie-dieu, invoquant ce Père qui veut qu'on lui parle dans le secret
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et il n'y a pas dans son empire un douanier ou un commissaire de police dont le bureau ne compte à son inventaire l'image du Crucifié ! Et la pauvre France, mes très chers frères, pendant ce temps-là, grand Dieu, que fait-elle? Je frémis d'y penser ! Un pays si peu édifiant ! Que pèse-t-il au regard de ces empires reli- gieux? Qui de vous me dira ce qui se passe en France en ce moment ?
Un enfant Comment savoir d'ici ce qui se passe sur la terre ?
M. le Curé Ne voyez-vous pas ce puits au milieu de la place ? Et ne vous a-t-on jamais montré dans les images ce même puits où Jacquin et Jacqueline s'amusaient à secouer leur édredon qui deve- nait aussitôt des masses de flocons et un épais manteau de neige sur les Vosges et toute la Lorraine?
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L'enfant, se précipitant vers le puits. C'est ce puits-là, monsieur le Curé ?
TOUS LES ENFANTS,
se précipitant vers le puits. Oh ! venez, venez ! venez tous ! venez voir dans le puits!
M. le Curé Eh ! bien, qu'est-ce que vous voyez ?
Un enfant Je vois une petite lumière triste tout en bas. Oh ! que tout paraît triste et sombre !
Un autre Je vois une campagne toute rapiécée, des forêts toutes noires, des rivières qui vont l'une vers l'autre, des villes toutes blanches comme une pincée de sucre, et de l'Est à l'Ouest, à perte de vue une grande ligne de villages qui brûlent!
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Et cette triste petite lune tout en bas comme une pastille jaune!
M. le Curé Douce France! Pardonnez-moi, mon Dieu, si même au ciel je garde tellement au cœur l'amour de ce pays.
Que j'aime ses villages qui sont blottis çà et là comme des poules dans la paille et ses vieilles petites villes tout usées comme des meubles de famille qu'on n'a jamais changés de place !
Une petite fille Je vois maman !
Un petit garçon Ne pleure pas, maman ! Nous sommes heu- reux ! Viens avec nous !
M. le Curé Que fait-elle, votre maman?
La petite fille Elle est à genoux et elle prie en sanglotant,
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et son pauvre corps maigre est secoué de grands frissons. Et elle serre contre son cœur un petit bas de tricot.
Une autre petite fille C'est à cause de mon petit frère qu'elle a perdu et qui a été écrasé par une charrette. On nous avait séparés. Et nous autres, les Alle- mands nous ont mises en tête d'une de leurs colonnes pour se protéger.
La première petite fille
Ne pleure pas, maman ! Je suis là-haut avec
Henri !
M. le Curé
Regardez-encore, qu'est-ce que vous voyez?
Un enfant
Je vois un colonel qui dit la messe et tout le
régiment est à genoux dans la boue autour de
lui.
M. le Curé
Et encore ?
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Un enfant Je vois un médecin-major dans le coin d'un hôpital, qui vient de se convertir et qui essaye de dire son chapelet.
M. le Curé Et encore ?
Un enfant
Je vois mille hommes couchés par terre et il y a une ligne de meules par devant.
Mille hommes morts par terre et pas un d'entre eux qui n'ait reçu l'absolution.
M. le Curé Et encore?
Un enfant Je vois un rabbin à genoux près d'un mou- rant et qui lui fait baiser le crucifix.
M. le Curé Et est-ce qu'ils continuent à jurer et à blas- phémer ?
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L'enfant Plus que jamais ! mais tous ont une médaille ou un scapulaire sur leur pauvre chair qui me fait tant de pitié.
M. le Curé Quoi ! est-ce là ce pays de Voltaire et de Renan ?
Un AUTRE ENFANT
Je vois le petit-fils de Renan !
M. le Curé Que fait-il ?
L'enfant Il est par terre, les bras en croix, avec le cœur arraché, et sa figure est comme celle d'un ange ! Il a le signe sur lui du troupeau de saint-Dominique.
M. le Curé Tu vois son corps. Mais son âme, dis-nous, où est-elle ?
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L ' E N F A N T
Saint Dominique l'enveloppe dans son grand manteau avec les autres tondus.
M. le Curé Et qui vois-tu encore ?
L'enfant Je vois un mourant à qui on apporte Jésus- Christ et qui essaye de faire le salut militaire ! Je vois les deux fils du général de Castelnau. Je vois Charles Péguy qui tombe la face contre terre ! Je vois un professeur de sixième qui meurt pour la France et ses enfants s'appellent Michel et André ! Je vois un capitaine de dragons qui meurt pour la France et ses petits garçons s'appellent Bernard et Jean.
Un autre enfant Oui ! Et moi, je vois son père, qu'il est
vieux
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M. le Curé Qu'est-ce qu'il fait ?
L ' E N F A N T
Il consent et il baise le crucifix.
M. le Curé Quoi ! c'est là cette France impie ?
Jean C'est la France au sang pur telle qu'elle fut toujours.
M. le Curé Est-ce là cette ennemie de Dieu ?
Jacques
La France ennemie de Dieu ! Il n'y a que les ténèbres qui soient ennemies de la Lumière !
Il n'y a que les cœurs fermés, il n'y a que les âmesd'esclavesqui soient horribles àunpère,et quel est le peuple moins obscur que ces Français dont le nom même est synonyme de libre et de sincère ?
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Ennemis de Dieu, parce qu'il ne nous suffit pas de le confesser de bouche seulement,
Et de le ranger ensuite commodément loin de notre vie quotidienne comme une idole toujours prête à nous approuver !
Ennemis de Dieu, quand on ne nous voit occupés que de lui ! Quand dans le monde entier il n'y a que nous qui ne le lâchions pas, et qui ne lui laissions pas de repos, et qui mettions l'intelligence avant la loi et l'amour avant le respect, et qui connaissions le chemin de son cœur, jusqu'à ce que nous sachions si c'est vrai qu'il nous aime et qu'il est vivant !
Il ne serait pas un père s'il n'aimait pas ce tourment que nous lui faisons !
Les autres peuples peuvent parler de Dieu, qu'est-ce que ça leur fait ? Ce n'est qu'un mot pour eux comme un autre et non point cette chose, si sacrée dans le cœur comme le
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nom de notre mère, qu'on n'aime pas à l'en faire sortir !
Les autres peuples disent que Dieu est avec eux et qu'il les défend, mais nous, c'est nous autres qui le défendons!
Nos pères jadis, ont dressé ces deux tours au travers du soleil levant,
Ces deux tours qui nous gardent encore, Rheims et ce beau vaisseau d'où ruisselait le baume sur toute la terre royale,
Cette grande terre à blé qui est la nôtre et ce manteau de moissons qui l'enveloppe, mon- tant et descendant et tout parsemé de rieurs de lys !
Maintenant, tout ce qui était paille au- dessus de la terre est parti en flammes et en fumée ! Mais il nous reste la terre même où nous avons creusé une grande fondation,
Un grand fossé au devant de l'envahisseur, et que nous reconquérons à grand travail,
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pouce à pouce et sillon par sillon, payant prix de nouveau pour elle,
Comme un laboureur, trait par trait, qui rouvre et reprend toute sa pièce jusqu'à la limite éternelle,
Un peuple tout entier enfoncé dans sa terre jusque par dessus la tête, une armée toute ruisselante de la terre natale,
Jusqu'à ce que de nouveau elle surgisse au soleil de Pâques !
Est-ce nous qui avons attaqué ? est-ce nous qui avons voulu voler aux autres ce qu'ils avaient ?
Ce que nous défendons, c'est notre bien, c'est le jardin qui tient à notre maison, c'est l'arpent carré dans lequel tient notre droit et notre destinée !
Et ce que nous défendons, c'est Dieu même qui s'est remis à notre garde comme un petit enfant, c'est cette place honnête dans notre cœur où il est, c'est ce Tout-Puissant
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infiniment faible, c"est cet humble souffle dans notre cœur qui nous a mis tous debout !
C'est à lui que nous faisons un rempart, ce solide rempart entrelacé de tout ce qu'il a d'hommes dans le pays, cette moisson toute mêlée de prêtres et de missionnaires avec nous comme les fleurs rouges et bleues dans le blé blanchissant !
Contre leur Gcethe et leur Kant et leur Nietzche et tous ces souffleurs de ténèbres et de pestilence dont le nom même fait horreur,
Et contre leur père à tous, l'apostat Martin Luther, qui est avec le diable !
C'est Dieu même que nous défendons, ceux-là mêmes qui ne savent pas son nom.
Car chaque peuple est né pour lui-même, mais la France est née pour tout l'univers afin qu'elle lui porte la joie !
Ce n'est pas son corps seulement qu'elle défend, c'est son âme qui est à tout l'univers, ce n'est pas sa vie seulement qu'elle défend,
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c'est la parole de Dieu à tout l'univers, qui est l'éternelle joie dans l'éternelle liberté !
Et si elle doit se taire et si Dieu doit cesser de parler français, elle sait que ce jour-là il vaut mieux pour elle être morte !
Et c'est cela qui tout à coup a soudé ensemble nos sept armées, en cette veille de la Nativité de Notre-Dame où elles se sont retournées toutes à la fois, le jour de la bataille de la Marne !
Jean Puissent de même les sept peuples qui combattent contre les Barbares se souvenir éternellement que dans cette cause sacrée ils ont uni leurs mains et leur sang !
M. le Curé Ainsi soit-il ! (On entend au loin le coup d'une cloche.)
Jean Quelle est cette heure qui sonne ?
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Un enfant, 7' e gardant par le puits.
C'est un pauvre village en flammes, tout est clair comme en plein jour. L'église brûle, mais l'horloge marche encore et sonne l'heure.
Un autre La demie de onze heures !
Un autre La demie avant ce minuit qu'elle ne sonnera pas ! La demie de cette heure dernière qui précède Noël ! (La porte de la grange au fond de la scène apparaît rayonnante de lumière par toutes ses fissures.)
M. le Curé
Mettons -nous à genoux, mes enfants, et prions pour la pauvre France cet innocent qui va nous apparaître.
Mon Dieu, ayez pitié de la France et ne l'écoutez pas moins qui n'est pas toujours comme les autres peuples à parler de sa justice
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et de sa vertu et qui sait que tout ce qu'elle fait n'est pas toujours bien.
Les enfants morts, en un grand murmure. Mon Dieu sauvez la France ! (Silence. Les fenêtres vides de l'église ruinée s'illuminent.)
Un enfant,
en retard, revenant du puits.
L'église du pauvre village s'est effondrée.
Un autre Comment saurons-nous qu'il est minuit !
M. le Curé Ce seront les Allemands qui vont nous l'annoncer en tirant douze coups sur la cathédrale de Rheims.
Un enfant Quel silence ! on n'entend plus rien au ciel et sur la terre.
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M. le Curé C'est le Seigneur Dieu qui fait silence pour écouter les Allemands qui vont tirer sur sa maison. Et nous tous, faisons silence avec lui. (Silence.)
La pièce allemande de 220, bombardant la cathédrale de rheims
Boum ! — (La 'porte de la grange s'ouvre et l'on voit la scène de Noël, la Vierge, l'Enfant, Saint-Joseph, le bœuf et l'âne, telle qu'on a l'habitude de la représenter dans les églises.)
Voix de femmes et d'hommes, chantant dans l'église dévastée Gloria in excelsis Deo et in terra pax homi- nibus bonœ voluntatis !
M. le Curé Dieu vivant !
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Les enfants
(la force des invocations ne cesse de s'élever
jusqu'à ce quelles deviennent semblables,
à la fin de la scène, aux vociférations
de l'Apocalyse)
Sauvez la France !
Le canon allemand
(2e COUp)
Boum !
Les voix Laudamus te !
M. le Curé Dieu enfant ! Dieu innocent ! Dieu fait homme ! Dieu avec nous !
Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(3e coup) Boum !
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Les voix Benedicimus te ! Adoramus te ! Glorifi- camus te! Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam !
M. le Curé Jésus-Christ, fils de Dieu !
Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(<f coup) Boum !
Les voix
Domine Deus, Rex cœlestis, Deus Pater
Omnipotens !
M. - le Curé Seigneur Dieu, Notre Père tout-puissant !
Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
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Le canon allemand (5e coup) Boum !
Les voix Domine FiliUnigenite, Jesu-Christe; Domine Deus Agnus Dei, Filins Patris !
M. le Curé Petit enfant nouveau-né !
Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(6e coup) Boum !
Les voix Qui tollis peccata mundi, miserere nobis !
M. le Curé Jésus qui ne voulez pas la mort du pécheur, mais qu il vive !
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Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
f7e coup) Boum !
Les voix Qui tollis peccata mundi, suscipe depreca- tionem nostram ! Qui sedes ad dexteram Pat ris...
M. le Curé Jésus qui aimez la France !
Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(8e coupj Boum !
Les voix Mi sereine no bis !
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M. le Curé Par votre divinité !
Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(ge coup) Boum !
Les voix Quoniam tu solus Sanctus !
M. le Curé Par votre humanité ! Par les entrailles de votre humanité !
Lesenfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(ioe coup) Boum !
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Les voix Tu solus Dominus, tu solus Altissimus !
M. le Curé Sauvez la France !
Les enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(11e coup) Boum !
Les voix
Jesu-Christe !
M. le Curé Jésus-Christ !
Les. enfants, tous ensemble Sauvez la France !
Le canon allemand
(12e COUp)
Boum !
Les voix Cum sancto spiritu in gloria Dei Patris !
M. le Curé Jésus-Christ, sauvez la France !
Les enfants, tous ensemble Jésus-Christ, sauvez la France ! Jésus- Christ, sauvez la France ! Jésus-Christ, sauvez la France !
Les voix Amen !
Paul Claudel.
Paris, février 191 5.
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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE : TROIS EXEMPLAIRES (A, B, C) SUR PAPIER A LA FORME DU JAPON ; NEUF (I- IX) SUR PAPIER DE L'IN- SETSU-KIOKU; ET VINGT -SEPT {1-27) SUR PAPIER VERGÉ A LA FORME D'ARCHES; QUE L'ON ACHEVA D'IMPRIMER LE DIX DÉCEMBRE MIL NEUF CENT QUINZE, SUR LES PRESSES D'EUGÈNE MORIEU, POUR L'ART CATHOLIQUE.
PAUL CLAUDEL — LE CHEMIN DE LA CROIX — ÉDITION DE LUXE IN- FOLIO, IMPRIMÉE EN CARACTÈRES GOTHIQUES ROUGES ET NOIRS; LET- TRES ORNÉES ET ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE. TROIS EXEMPLAI- RES (A, B, C) SUR PAPIER A LA FORME DU JAPON; NEUF(I-IX) SUR PAPIER IMPÉRIAL DU JAPON ; QUATRE-VINGT- UN ( i - 8 1 ) SUR PAPIER WHATMAN. LE MÊME OUVRAGE : ÉDITION OR- DINAIRE IN-OCTAVO AVEC ILLUS- TRATIONS DE SAINTE-MARIE PERRIN.
S V N O N
PRIX DEUX
FRANCS
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PQ 2605
L2N8
Claudel, Paul
La nuit de Noël de 1914
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